Sur le chemin de Compostelle (2/2)
2 juin 2018


Cette première journée de marche nous reconnecte aux éléments. Boue, Pluie, Vent. Relation intime, du cuir chevelu jusqu’aux orteils pataugeant dans deux petites flaques. La bruine fait place à l’averse, drue et fraiche, puis se calme, ralentit, redevient fines gouttelettes avant de reprendre avec insistance.
Dans ces conditions, les mains gelées, je lance la fameuse question des randonnées difficiles. Et toi, tu supportes plus facilement le froid ou le chaud ? Sa cape de pluie enfilée par-dessus le sac, Amélia a tantôt l’allure d’un chameau tantôt celle d’un escargot évoluant sur le sentier, une bosse en mouvement sur le dos. On rit. Les gouttes d’eau testent notre motivation et croient l’emporter sur notre bonne humeur. C’est compter sans les ressources insoupçonnées de nos deux âmes enjouées, sacrifiant leur désespoir personnel sur l’autel du bonheur de l’autre.
Le troisième jour, elle a une illumination. Je suis très heureuse de marcher aujourd’hui ! Ah, tant mieux. Oui, je sens que mon corps est content de se remettre dans ce rythme.
Les pieds enveloppés de chaussettes sèches, et je vous passe les détails sur les boulettes de papier journal fourrées dans toutes les chaussures du gîte, le chemin reprend enfin. Quand on y pense, je suis en train de visiter la France à pied. Oui, enfin, ne t’emballe pas, c’est juste l’Aveyron et encore, on fait seulement 87 kilomètres !
Guidées par le balisage rouge et blanc que l’on s’amuse à repérer toujours plus vite, de toujours plus loin, on découvre des trésors. Bien cachés dans les campagnes, de petits villages d’époque émergent, plein de charmes et de bordures fleuries, que le pays soigne avec fierté pour conserver leur place au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Au départ d’Espeyrac, comme chaque matin, un cortège de sac-à-dos défile. Tout l’inventaire du Vieux campeur y passe. Les bâtons claquent et résonnent sur les routes des villages, dérapent entre les cailloux des premiers sentiers puis s’enfoncent dans l’humus humide des sous-bois.
Dans l’après-midi, les marcheurs atteignent chacun leur gite. Fourbues et fatiguées, on ne réagit pas aux traits d’humour de l’hôte. Face à lui, bavard, pressé de questions, presque agaçant, les têtes hochent faiblement et les sourires peinent à se dessiner. Plein de bonne volonté, la Charte du Pèlerin au fond du cœur, il semble ignorer l'Appel. Celui, divin, d’une douche chaude et apaisante, de vêtements secs, et d’un lit où reposer enfin cette carcasse de muscles tendus. Un soir, on s'offre même le luxe d’un vrai diner. Une soupe et un plat chaud pour essorer l’humidité, un peu de vin rouge pour oublier la fatigue et créer du lien, et deux desserts (parce que c’est bien connu, choisir entre deux desserts est un dilemme insolvable), l’un pour adoucir la mélancolie des jours pluvieux, l’autre par gourmandise.
Vous allez où ? Vous venez d’où ? Quel est ce besoin singulier de toujours situer l’autre, comme si le nombre de kilomètres parcourus ou le point de départ allaient orienter le cours de la relation, soit amicale, soit indifférente. Des cadres, des cases, des cartes pour mieux ranger. L’ordre rassure. Alors on invente, tente d’autres questions, plus intimes, plus profondes (Pourquoi ce voyage ? Votre plus belle étape ?) ou pas (Vous avez mal quelque part ?).
Un an plus tôt, se déplaçant à vélo dans Bruxelles, Amélia est percutée par un conducteur qui s’enfuit lâchement. Son genou droit en a gardé la trace. Les granules d’arnica soulagent l’inflammation mais quand, le quatrième jour, l’étape s’annonce particulièrement longue, il est temps de renoncer. On se donne rendez-vous à mi-chemin.
Dans la fraicheur de ces matins de juin presque froids, mon pas s’accorde au courant du Lot. J’aurais dû me réjouir de ce moment de recueillement, enfin seule. Et pourtant, rapidement, je sens l’angoisse s’installer. Diffuse, indéfinissable. Et si un chien croise mon chemin ? Le fantôme menaçant d’un ancien traumatisme refait surface, incontrôlable. J’entends un bruissement à ma droite, des pas dans les buissons. Un courant glacé me traverse. Je m’arrête pour respirer et repousse à grands coups d’expirs cette ombre asphyxiante qui entortille dans son poing mes boyaux, mon sternum et ma gorge. La solitude ne me plait plus. Il me faut l’apprivoiser à nouveau. Un kilomètre plus loin, je rejoins les premiers groupes de randonneurs. Leur présence me reconnecte à l’instant.
Déterminée à être en avance au rendez-vous, je cale mon pas sur mon objectif, désormais seule à battre la mesure.
Peu à peu, respirant amplement par le nez, je prends de la vitesse sans m’essouffler démesurément et remonte un à un la caravane de marcheurs, les dépassant d’un bon pas.
Pour trois heures seulement, le pèlerinage devient compétition, les kilomètres s’additionnent déversant leur dose d’endorphines, me laissant tout juste le temps de profiter des paysages.
Puis c’est la fin. Il est quatre heures du matin. Dans mon lit, chef d’orchestre insomniaque, je dirige un chœur de dix retraités. Endormis, ténors et barytons chantent au rythme de leur respiration, parfois à l’unisson, souvent mal accordés. Je balance mes bras en cadence, les basses à droite, quelques vocalises au fond, avant de rassembler le tout en un point fermé. Mais le chœur s’emballe et poursuit dans la nuit avancée. Les boules Quies vissées dans les oreilles, j’assiste, impuissante, à ce vacarme nocturne qui parfois diminue en intensité, laissant alors une brèche où s’engouffre mon sommeil mais si vite refermée qu’il s’évanouit aussitôt. La veille, même refrain, qui inspire à Amélia le slogan de sa marque de tee-shirt fictive : Il suffit d’un homme pour empêche cinq femmes de dormir. Le coupable, une conserve de cassoulet dans le ventre après vingt-deux kilomètres dans les jambes, a parasité le sommeil de cinq femmes.
Le train nous dépose à la gare d’Austerlitz à 21h21. Huit heures plus tôt, les jambes dans le vide, nous contemplons la carte postale grandeur nature. Conques et sa majestueuse abbaye, encaissée dans un nid de verdure, est un véritable trésor du patrimoine. Le concert d’orgue donné la veille, clôture idéale de cette semaine de randonnée, résonne encore à l’intérieur, nous plongeant dans un paisible état méditatif. Déconnectées.

INFOS PRATIQUES & BONNES ADRESSEs

Budget : Nos dépenses quotidiennes ont été de 30€/j. environ. Hébergement en dortoir : 12-20€/nuit. Nourriture : environ 15€/j. de pain frais, fromage et autres victuailles que l'on trouve facilement à chaque étape. Location des draps (si vous ne prenez pas votre sac de couchage) : 2-6€ la nuit.
Contenu de mon sac-à-dos (en version light bien sûr !) : Deux serviette de toilette (une grande et une petite), une trousse de toilette, un short de rando (même sous la pluie, pour éviter d'avoir un pantalon trempé qui colle), deux tee-shirt à manches courtes Icebreaker, un short en jean et un pantalon de rechange, un k-way, un parapluie (que j'ai préféré au poncho), un chapeau, des lunettes de soleil, des sandales de randonnée (chaussures de rechange), un drap ou fouta (pour s'allonger dans l'herbe et se créer un espace d'intimité dans les dortoirs), deux culottes et deux paires de chaussette, une chemise légère à manches longues (s'il fait un peu frais ou pour se protéger du soleil), une grande écharpe (bien utile, surtout dans les trains trop climatisés), une poche à eau de 2L (qui peut le plus peut le moins), une gourde (plus pratique à remplir et pour boire dès qu'on ne porte plus son sac-à-dos), un gros livre, le Guide vert, un petit carnet, et mon téléphone et un appareil jetable pour les photos.
Ce que j'aurais dû ajouter : des gants (ce premier jour sous une pluie fraiche nous l'a confirmé), un bandeau pour les cheveux (à la fois contre la transpiration et la pluie qui coulent sur le front), des tongs (pour sortir de la douche), une bombe insecticide (naturel) contre les puces de lit (même si la plupart des gîtes luttent dans ce sens), un drap de soie et/ou un drap housse (pour éviter la location de draps, sachant que des couvertures sont toujours fournies), et une paire de baskets ou chaussures de randonnée plus adaptée.
Logements recommandés : chambre à l'Accueil Saint Georges (Puy-en-Velay), Gîte d'étape communal (Saint Chély d'Aubrac), Gîte communal del roumiou (Saint-Côme-d'Olt) avec un délicieux diner et petit-déjeuner, Chez Anne (Estaing), Gîte d'étape (Espeyrac), chambre à l'Abbaye Sainte-Foy (Conques).
Où se procurer la crédencial : Nous l'avons achetée au Puy-en-Velay (5€), auprès des Amis de Saint-Jacques du Velay.
FIN

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