Sur le chemin de Compostelle (1/2)
1 juin 2018


On arriva comme on est parti, à pied et sous la pluie.
Tout a commencé il y a deux mois.
En provenance d’autres dimensions, portée par de mystérieux courants, une semence d’idée s’est un jour introduite dans les circonvolutions de ma boite crânienne. Les jours passants, arrosée par une certaine morosité du quotidien parisien, fertilisée par la nostalgie des grands voyages, elle a germé, grandi et pris de l’espace. Rapidement, elle est devenue un objet d’attentions quotidiennes, un besoin primordial : je veux partir faire de la randonnée itinérante en pleine nature.
La vie a pris le relais en déployant ses fameuses synchronicités.
J’ai rencontré Amélia il y a presque dix ans lors d’un volontariat en Espagne. Le souvenir des fous rires partagés est doux. Lentement perdue de vue, notre relation s’est atténuée par l’excuse de la distance ou du rejet des réseaux sociaux et téléphones mobiles, fast food de la communication, diffusant données personnelles et nouvelles insipides. Soudain, un mail, le courant rétabli, quelques échanges positifs et c’est parti !
Elle aussi avait reçu la graine.
Préparer une valise pour une semaine c’est déjà difficile, mais un sac à dos, n’en parlons pas ! En théorie, cela parait très simple, les armoires restent bien remplies, les tiroirs en ordre, et l’on claque la porte comme si l’on partait faire une petite course, le sac si léger que la tête n’en finit plus de douter. En pratique, le processus est cependant tout aussi fastidieux, si ce n’est plus. Supplice du choix. Tu prends, tu portes. Je réfléchis, je soupèse l’habit, le range une fois, le ressort, puis le remet, puis analyse la situation, regarde la météo de la semaine pour la dixième fois, l’enlève, le reprend. Migraine. Alors il faudra accepter l’inadaptation à certains situations imprévues, peut-être même la gêne ou l’inconfort et souhaiter être déjà partie pour ne plus réfléchir. C’est dur le lâcher-prise.
La visite du Puy-en-Velay, fameux point de départ vers Saint-Jacques de Compostelle, introduit la semaine à venir. Le relief accentué sur lequel le village a été élevé a le mérite d’offrir l’échauffement nécessaire aux pèlerins néophytes. Le surmenage des derniers jours nous recouvre tout à coup d’une lourde fatigue. Dans les rouages de mon esprit, le besoin incessant d’activités s’agite en vain. Panne générale, le corps est à plat.
L'arrivée en bus, un peu plus tôt, me frappe instantanément. Trois rochers se dressent vers le ciel, brisant le plan harmonieux du paysage. Rappelez-vous ces champignons de forme conique au manteau enfumé découverts au petit matin dans la pelouse quand hier encore il n’y en avait nulle trace. Ceux du Puy-en-Velay ont soulevé sur leur chapeau ici une statue, là un château en ruine ou encore une chapelle. Au petit matin, dans leur chambre d’hôtel, les touristes arrivés de nuit se frottent les yeux devant l’apparition et crient au miracle. Allons, grimpons, le panorama est toujours plus beau d’en haut !
Première ascension jusqu’à la statue Notre-Dame-de-France, ou "Vierge du Puy" pour les intimes. Trop peinte, trop bien astiquée, trop bien rénovée. Elle semble sortir tout droit d’un parc d’attraction sous sa triple couche de peinture rouille. Délaissant l’auréole pour une couronne d’étoiles, l’idole a des airs de star américaine. A retenir cependant sa composition, 213 canons russes fondus, cadeau de Napoléon III en mémoire de sa victoire en Crimée. Ou comment l’on recyclait les armes de guerre en 1854.
Quelques heures plus tard, nous y voilà. Le plateau de l’Aubrac. Le fameux, à l’origine de tant de poèmes et romans bucoliques. Tu verras, c’est magnifique ces vastes pâturages sillonnés de petits murets de pierre, cette végétation si particulière, ces grands espaces vallonnés à perte de vue.
Oui, on a vu. Les paysages vaporeux derrière la brume. Les nuages noirs, sombres wagons duveteux posés sur de vertes prairies rases. L’horizon masqué par l’épais brouillard. Quelque part, des cloches tintent, portées par les fantômes de l’Aubrac. La race bovine semble l’unique habitante de ces lieux.
Nous la rencontrons plus tard, alors que le sentier coupe au milieu d’un troupeau, ruminant tranquillement, le ventre à terre. Je m’arrête soudain, effrayée. Regarde, le gros noir là ! Il faut qu’on passe ailleurs. Viens, on fait le tour. Non, attend, il va nous voir, plutôt par là-haut. Tu sais quoi, on va attendre les autres et on verra bien. Oui t’as raison, on les laisse passer. C’est ainsi qu’une dizaine de randonneurs confiants défile sagement devant l’imposante bête qui, à peine troublée dans sa pause digestive, daigne tout juste tourner la tête dans notre direction. Mais dis-moi, c’est pas toi qui vient des Alpes ?

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