"Je ne prie pas"
"En me réveillant ce dimanche, je ne sais pas vraiment ce qui me pousse hors du lit. Peut-être la porte grande ouverte par Ninah par laquelle passent déjà quelques têtes curieuses. Peut-être ce rendez-vous quotidien dont je ne me lasse pas avec le soleil. Prends-moi dans tes bras, chantait Dalida, soleil, soleil, je fais l’amour avec toi. Peut-être la perspective de croquer dans les beignets croustillants de Ma’ Mizo que j’entends crépiter dans l’huile à travers la cloison ; le passage d’une foule endimanchée avant la messe, juste à côté, est l’occasion pour elle de faire recette.
L’église est le dernier édifice avant de quitter le village, juste après la maison du maire. Il y en a une deuxième plus à l’ouest. Mes compagnons, chacun de confession différente, vont à l’un ou l’autre des sermons, alternant chaque week-end catholicisme et protestantisme. Les bâtiments en dur sont rares dans le village, et ceux qui sont bien entretenus se comptent sur les doigts d’une main. Les églises dénotent en ce sens l’implication des associations chrétiennes, mais pour le marché, la clinique et l’école, point de financements.

- Tu ne vas pas à l’église, me demande-t-on d’un air perplexe, une dizaine de fois chaque dimanche matin.
- Non.
- Pourquoi ?
Parce que je ne crois pas à une figure régentant l’être humain, et seulement lui. Je ne crois pas à cette religion qui place l’homme au-dessus de la nature, l’homme au-dessus de la femme, qui transforme le sens moral en chants religieux mais laisse les valeurs de la Bible aux portes du confessionnal. Je crois en une énergie universelle qui vibre à la fréquence de l’amour. Je crois à une puissance divine qui n’a pas de nom. Je crois que ce Dieu n’est pas à l’extérieur mais en chacun de nous, cellules vivantes d’un tout qui nous dépasse. Je crois que nous sommes seuls maîtres de nous-mêmes, et seuls esclaves de nos conditionnements, désirs et pensées vagabondes.
- Je ne prie pas, répondis-je en mal de vocabulaire.

Le dimanche, sous le flash d’un rayon de soleil, le village se fige dans une pose de douze heures. Je m’autorise à ne rien faire, ce qui est loin d’être un effort démesuré dans ces conditions mais j’ai toujours éprouvé une certaine résistance à m’abandonner au temps qui passe, à regarder les ombres progresser pendant qu’il étiole en silence nos brins d’ADN. Accepter d’être, au lieu de faire. Malgré moi, guettée par les affres du néant, je planifie pauses et repas, lecture et repos.

Les promesses suspendues

Journal de bord d'une éco-volontaire à Madagascar

Lauren Terrigeol
Commander
J’observe les gens vivre, quand ce ne sont pas eux qui s’invitent à l’improviste dans nos quartiers. Il suffit que je sois installée sur la petite table dehors, absorbée dans l’écriture ou la lecture, pour qu’une fois repérée, quelqu’un vienne s’asseoir en vis-à-vis. Certains échangent des sourires à défaut de paroles, satisfont leur curiosité et passent le temps. A peine s’en est-on allé qu’un autre prend place. Et quand l’impatience me gagne, je m’essaie à la télépathie à coups de sourires polis et de regards fuyants. Cela fonctionne, parfois. Bien que j’apprécie la visite amicale de certains visages plus ou moins familiers, bavarder en français finit par me fatiguer tant cela demande de la concentration que d’user de mots contraints et simplifiés, articulés d’une voix forte sur un rythme lent.

Quelquefois, quand tout le monde est parti à l’église, je me cache à l’intérieur, assurée de trouver un peu de tranquillité à l’abri des regards, mais là encore, une tête passe dans l’embrasure de la porte et me fait sursauter d’un Salama radieux. Telle une bête traquée je m’enferme alors à clé certains dimanches pour m’épiler au calme. Une fois où je tentais l’expérience dehors, le bruit de la machine électrique attira les « diaboliques » de passage, le quart du village qui ne va pas à l’église d’après le grand frère de Mizo. S’épiler n’est certainement pas dans la culture malgache et lorsqu’une heure plus tard Mickael vit mes jambes fraîchement glabres couvertes de petits points rouges, il me railla en invoquant un cancer de la peau.

Peu avant midi Jesco frappe à notre porte (...)"

Articles SIMILAIRES

Une expérience, oui.

Je m’incline face à cette nouvelle expérience. Une expérience, oui. Comme toujours, dès que les choses se compliquent un peu...

"Je ne prie pas"

En me réveillant ce dimanche, je ne sais pas vraiment ce qui me pousse hors du lit. Peut-être la porte grande ouverte par Ninah ...

Les îles Barren

Cinq jours ont passé lorsque je reprends la mer et l’inévitable coup de soleil sous l’épaisse couche de crème protectrice....

Je rentre nue et le seau léger.

A bien y réfléchir, mon idéal serait certainement une vie sous un climat tropical au bord de la mer favorisant les vêtements f...
hello world!
envelopecrossmenuchevron-down