Les îles Barren
"Cinq jours ont passé lorsque je reprends la mer et l’inévitable coup de soleil sous l’épaisse couche de crème protectrice. Sur le chemin, Olivier me réserve une surprise, un détour par les îles Barren. Faisant face à Sahoany bien qu’invisibles depuis la côte, elles sont le lieu supposé de l’excursion récréative promise par Kerenah - et définitivement reléguée dans l’oubli semble-t-il.
- Chacun de ces bancs de sable est entouré de récifs coralliens abritant une biodiversité extraordinaire, dit Olivier alors que nous accostons sur l’un des neuf principaux îlots. Cinq des sept espèces existantes de tortues marines viennent pondre ici, tu imagines ? C’est un lieu de passage important pour les baleines à bosse, et même le Cœlacanthe a été observé dans le coin.
La vision terrestre est moins excitante. Devant nous, des paillottes d’apparence abandonnée se dressent sur le sable brûlant parmi une végétation aride. Cela fait seulement une dizaine d’années que des nomades Vezo ont pris possession de l’archipel, installant des camps sommaires çà et là en dépit du manque d’eau douce ; la tradition l’interdisait auparavant d’un fady, entre autres tabous ancestraux. Malgré la tranquillité des lieux, la trace d’une présence récente se devine dans les poulpes, raies et poissons étalés sur de grands séchoirs.
- C’est en passe de devenir officiellement la plus grande aire marine protégée du pays, ajoute-t-il. C’est un endroit unique ! Et menacé. Évidemment, dès qu’il y a un enjeu économique… C’est comme partout dans l’océan Indien, si on ne règlemente pas, cela deviendra un vrai pillage.
Jusqu’à présent, les communautés voguaient en étroite collaboration au sein de l’écosystème sans effiler ce tissage de liens fonctionnels unissant l’ensemble des éléments naturels ; les hommes se déplaçaient à travers les iles en suivant les déplacements saisonniers des poissons, passant plusieurs jours à semaines d’affilée en mer sur leur pirogue, puis retournaient sur la Grande Ile à la saison cyclonique. Mais ces dernières années, la pression s’est intensifiée.
- La population sur la côte a doublé en moins de vingt ans, donc forcément ça fait plus de pêcheurs, dit Olivier. Sans parler des migrants qui ont plus à gagner ici que dans leurs eaux territoriales, déjà surexploitées et règlementées.
Comme tant d’autres en sursis, ce petit joyau de nature savourait son isolement. Mais tôt ou tard, il devait s’attendre à l’arrivée de ce virus humanoïde célèbre pour ses frappes agressives, rivalisant de malice quand il s’agit de venir à bout de la beauté et de la diversité au nom de la croissance ou du profit, au risque de faire basculer l’équilibre de l’écosystème vers un point de non-retour où le paradis premier, conquis puis converti, s’abîmera peu à peu dans la légende.

Les promesses suspendues

Journal de bord d'une éco-volontaire à Madagascar

Lauren Terrigeol
Commander
L’abondance des ressources marines attise la convoitise des industries de la pêche. Certaines voient là le marché lucratif des ailerons de requin et concombres de mer, les chalutiers-crevettiers persistent à enfreindre les limites autorisées de l’aire protégée, et loin des regards et polices, c’est une offensive sans scrupule qui se joue avec le vivant. Sans mentionner les campagnes d’exploration de pétrole, de gaz et de guano - un engrais organique - qui prédisent un sérieux risque de sédimentation et d’eutrophisation des récifs coralliens. Ou l’asphyxie d’une cité sous-marine.
L’utilisation de méthodes de pêche destructrices et la surexploitation des espèces menace non seulement la résilience de l’écosystème marin, mais aussi les pêches locales sur lequel elles reposent. Comment concilier les intérêts commerciaux et le développement économique d’un pays tel que Madagascar tout en préservant l’environnement et le mode de subsistance de quelques milliers d’hommes et de femmes ? En réponse, une autre ONG vient aujourd’hui en renfort auprès des communautés littorales pour appuyer la création d’aires marines sous gestion locale et confier aux pêcheurs traditionnels le droit de leurs eaux, ceux pour qui l’exploitation de la mer est la seule source de revenus."

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