Tout a commencé là
"En 2016, j’ai vingt-cinq ans lorsque je rejoins l’antenne malgache d’une ONG internationale vouée à la protection de l’environnement et au développement durable. C’est la deuxième fois que je m’engage à Madagascar. Et cela ne s’est pas du tout passé comme je l’avais imaginé…
Cette année-là, après un cursus universitaire dans le domaine de l’environnement et de la biodiversité , après un stage à l’Agence des aires marines protégées , après de longs mois d’une recherche d’emploi infructueuse, je finis par faire ce que j’ai commencé à intégrer avec une certaine facilité depuis l’année de mes vingt ans : remplir un sac-à-dos, prendre un billet d’avion et partir seule à l’étranger. Je choisis cette fois l’Asie du Sud-Est afin de poursuivre mes candidatures à distance.
Un jour, cette offre. Pas tout à fait un stage ni un volontariat, un entre-deux non rémunéré et un recrutement sélectif à l’entrée. L’axe du projet était de permettre aux jeunes de tous pays d’expérimenter les vrais défis de la conservation des écosystèmes, des mangroves en l’occurrence, tout en vivant auprès des communautés locales. J’allais enfin découvrir la réalité du terrain, donner un sens à ces années d’études de cas théoriques, me sentir utile à travers la mise en place d’actions concrètes, m’initier auprès de professionnels et peut-être, un jour, intégrer les échelons supérieurs de cette ONG réputée !
Après une année d’inactivité entrecoupée de quelques missions d’hôtesse en talons hauts et inconfortables,
j’avais compris qu’il était illusoire d’espérer un premier emploi sans justifier d’une expérience de travail solide. J’ai donc passé les étapes de ce recrutement, une à une, jusqu’au départ.
Malgré une expérience de volontariat décevante organisée par une entreprise anglo-sri-lankaise plus intéressée par la contribution financière des volontaires que par toute fin utilitaire, je me persuadais du caractère sérieux de cette mission à Madagascar. Je voyais là l’opportunité d’apprendre et de contribuer à l’équilibre naturel tout en explorant d’autres horizons, et sans être totalement livrée à moi-même, humainement et matériellement.
Trois ans plus tôt, à la faveur d’une mission d’éco-volontariat , j’avais rejoint un lieu réputé pour l’observation des baleines à bosse, Sainte-Marie . Ancien repaire de pirates devenu colonie française, l’île fait aujourd’hui partie de la République de Madagascar. Là-bas, formée à la tâche de guide scientifique, j’avais vécu une saison mémorable auprès de ces géants marins, particulièrement nombreux de juin à septembre dans le bras de mer qui sépare la Grande Ile de l’île Sainte-Marie. Un rêve éveillé au milieu de l’effervescence de toutes ces créatures majestueuses collées sur les murs de ma chambre d’enfant. J’y avais également noué de belles amitiés.

Les promesses suspendues

Journal de bord d'une éco-volontaire à Madagascar

Lauren Terrigeol
Commander
En pèlerinage sur les traces d’une des plus belles périodes de ma vie, ce retour à Madagascar en août 2016 revêt une dimension sacrée. Je me suis arrangée pour passer une semaine avec mes amis Saints-Mariens avant de rejoindre l’ONG. Dans ce décor insulaire à la fois lointain et apprivoisé, je suis spectatrice de mon imagination qui habille le présent d’épisodes passés, fabuleux. Rien n’a changé, ou presque. Le jour, je guette les souffles et les gerbes blanches depuis la côte, les baleines répètent leur chorégraphie saisonnière, des sauts spectaculaires, des frappes de caudale ou de pectorale. Le soir, nous rattrapons le temps autour de verres de punch coco. La traditionnelle soirée de restitution des observations hebdomadaires de cétacés a lieu le samedi dans une ambiance festive. Eco-volontaires, hôteliers membres de l’association et touristes partagent un repas convivial, puis une partie de notre troupe rejoint la petite discothèque de l’île. Ce soir-là, elle accueille exceptionnellement un chanteur de renommée nationale.
Plus tard dans la nuit, deux jeunes volontaires français sont assassinés.
J’apprends le drame au matin, alors que je m’apprête à prendre l’avion pour Antananarivo. Les mots se tiennent là, en suspens dans l’air, soufflés par une bouche amie. La nausée, les larmes et la colère viendront, mais dans l’instant, anesthésiée, je ne ressens rien ; se représenter l’inconcevable me prendra du temps. Le décor devient asphalte, l’air ambiant se charge de poussière, de chaos, la capitale se fait plus oppressante encore et, tandis que je fais connaissance avec l’équipe dans laquelle je suis intégrée, je garde ces mots sous silence. Pour ne pas inquiéter, pour ne pas diffamer. Je les ressasse, seule, et ils s’imprègnent plus profondément en moi. Ils ne prennent véritablement forme et conscience que lorsque notre coordinatrice, Kerenah, avertie par les médias nationaux, s’enquiert publiquement de mon témoignage. Avec une curiosité dénuée de toute empathie, elle m’interroge nonchalamment au milieu de son cours d’introduction à la culture locale. Dans cette présentation des comportements à adopter avec la communauté sakalava, elle n’a nul mot de soutien. Dans la solitude des prochains mois, ils me hanteront."

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