Il entre dans l’une d’elles. Sur la feuille de soin accrochée au lit du malade, l’infirmier a écrit en lettres rouges : SURPÊCHE – CHALUTAGE. Le patriarche, âgé de cent cinquante ans, est allongé dans son vêtement orange. C’est l’Empereur, originaire des profondeurs.
- On avait entendu les nouvelles, il fallait rester caché, tout au fond dans l’obscurité. Alors on a attendu. Et puis voilà qu’un jour, par surprise, ils sont arrivés et ils ont tout raflé. Les immeubles, la crèche, le grand potager… Tout ! Tout a été décimé…, raconte-t-il avant d’expirer.
A ses côtés, le Grenadier de roche baisse la tête en silence.
- Sans logement et nulle part où aller, nombre d’entre nous ont péri.
Dans les chambres suivantes, aux pieds de corps mutilés ou handicapés par des squelettes déformés, les caractères majuscules épellent d’autres formes d’éradication, pêche électrique, à la dynamite ou fantôme.
Arrivé dans l’aile de luxe, il découvre les victimes collatérales des grandes campagnes d’éradication à la crevette notamment. Au mauvais moment au mauvais endroit. L’histoire l’attriste. Dauphins, phoques ou oiseaux plongeurs, entrainés par leur gourmandise, n’ont pas vu les filets se refermer sur eux. Les tortues marines, assaillies de mille maux, disposent d’un espace privé. C’est ici aussi que se trouve le cabinet renommé de chirurgie esthétique. La demande est si forte que la liste d’attente pour la pose d’ailerons de substitution est récemment passée à trois ans. Les requins patientent, guettés par l’asphyxie.