On connait. Je m’enfile sur la banquette arrière et le sac tenu fermement à deux mains par crainte de le voir glisser sur la chaussée à chacun des revirements prestes du véhicule, je nous regarde quitter la ville pour rejoindre la nuit. Je refais le calcul maintes fois, j’additionne les temps de trajets et compte anxieusement les kilomètres jusqu’à l’arrivée. Je ne sais plus, n’était-il pas écrit sur le site internet que les portes ferment à partir d’une certaine heure ? Et s’ils ne me laissent pas entrer ? J’angoisse, comme toujours, du pire et de l’hypothétique. La route s’enfile en lacet dans une forêt noire, croise quelques silhouettes sur le bas-côté et, sur fond de moteur vrombissant, j’abuse de la télépathie pour presser mon chauffeur.
Après plus de vingt-quatre heures de voyage, sale et fatiguée d’un trop-plein de bruit et d’agitation, secouée par la foule, je passe les portes de l’ashram. Il me semble avoir bravé une tempête, une attaque de forces hostiles et une course de fond tout à la fois. J’entre dans une bulle, un confinement hors cadre, un cocon de verdure.
-
Vous êtes française ?, me sourit la jeune femme à l’accueil.
Mes oreilles se figent. Soulagement de retrouver une compatriote. Les mots me manquent, je ne sais plus à qui de l’anglais ou du français dois-je me raccrocher.
-
Combien de temps comptez-vous rester ?-
Deux semaines. Enfin, je crois…On me tend des draps, une moustiquaire et un sourire, et je rejoins le dortoir des femmes.
Souvenir d'un séjour dans un ashram en Inde, à 20 ans