Les gorilles des Virunga (1/2)
écofiction   -
28 novembre 2018

Pourquoi ce texte ?

Lorsque j'habitais à Paris, j'ai participé à plusieurs ateliers d'écriture à l'école Les Mots, dont l'un d'eux en compagnie de Martin Winckler (auteur du génial Les chœurs des femmes). Une consigne d'écriture par semaine, jusqu'à la dixième : écrire une nouvelle. Mon choix s'est porté sur le Parc national des Virunga (en République démocratique du Congo), première aire nationale protégée en Afrique, classée patrimoine mondial par l’UNESCO. En effet, cela avait été l'un de mes sujets d'étude pendant ma Maîtrise en environnement, en apprenant qu'une compagnie pétrolière britannique était en possession d’un permis d’exploration pétrolière dans cette région, l'une des plus riches en espèces fauniques. Le récit est imparfait (j'ai moins de facilité avec la fiction) mais il se base sur un vrai travail de documentation.
…997, 998 et 999 !
Larika a le regard fixé vers le haut de la pente, à la base de la brume épaisse qui couvre la cime, sur une zone où la végétation clairsemée laisse entrevoir un spectacle dont elle ne se lasse pas. Une famille de gorilles des montagnes fait une halte. Le mouvement des fourrés lui signale la présence de deux adultes absorbés dans leur recherche de nourriture. Un peu plus haut, à découvert, sous la surveillance d’une femelle imposante, quelques jeunes s’amusent de lianes en lianes dans un tapage retentissant.
Le recensement touche à sa fin, après plusieurs semaines de traques dans les montagnes des Virungas, en compagnie d’une équipe de primatologues et de conservationnistes internationaux. Presque mille individus observés ! Les jambes endolories par de longues journées de marche sur un terrain escarpé, Larika aspire au repos. Attentive à maintenir leur présence discrète, elle contient son euphorie et se contente d’un large sourire dissimulé en partie par la grosse paire de jumelles usées qu’elle tient dans ses mains. C’est un vieux modèle, souvenir de son grand-père, un ranger renommé de l’équipe de Dian Fossey.
D’un regard en biais, le directeur du parc l’observe, amusé de ce sursaut de joie. Ce chiffre annonce une hausse non négligeable depuis le dernier recensement, en 2008. Les efforts menés ont payé et l’espèce se rétablit. C’est une victoire pour la conservation qui ne manquera pas d’avoir un retentissement international.
Malgré la fierté qui les imprègne tous deux, la jeune femme ressent une pointe de nostalgie. Elle aurait tant aimé partager avec son grand-père l’expédition qu’elle vient de vivre dans le sanctuaire des gorilles en compagnie d’experts mondiaux, de la même manière qu’enfant, elle grimpait sur ses genoux, réclamant une autre de ces histoires qu’il savait si bien compter. A travers cette transmission orale, leur fascination pour ces animaux d’une intelligence et d’une humanité déroutante s’accordait parfaitement.
Grâce à lui, elle est aujourd’hui l’une des vingt-six femmes à exercer le métier de rangers, sur plus de six cent employés du parc. Remplaçant le père absent, il a su l’encourager, la pousser toujours plus haut, avec douceur mais fermeté, lui transmettant le goût du dépassement de soi. Se moquant des règles tacites qui laissaient les femmes au foyer quand les hommes prenaient les armes pour la protection des espèces animales, il a crû en elle et l’a soutenue dans la préparation du concours. La sélection fut exigeante, éprouvante, mais elle a tenu bon. Le jour où elle obtint le titre de fonctionnaire de l’Autorité Congolaise des Parcs Nationaux, il était aux premières loges, avec l’expression d’un roi comblé.
Si le compte atteint les milles individus, le village sera en fête ce soir. Ici, tout repose sur les gorilles.
Le développement économique doit beaucoup à l’éco-tourisme, et les fêtes et contes locaux ont pour seul décor la chaine des Virungas. La population locale porte un véritable respect pour ce joyau du patrimoine naturel mondial qui fait leur environnement. Le directeur leur a promis à tous une augmentation, possible grâce aux subventions à venir des organisations internationales. A cette pensée, son sourire s’élargit, car un revenu plus conséquent lui permettrait enfin d’accepter l’enfant qu’elle tarde à concevoir.
Soudain, voilà que retentissent des cris aigus, insistants. Les gorilles ont repéré un intrus. Relevant ses jumelles, la scène la fige avec effroi. Une centaine de mètres vers la droite du groupe, des braconniers tapis dans les fourrés viennent d’être repérés par un jeune mâle. Il s’agite, remue ses membres supérieurs et frappe son torse avec tout l’orgueil de sa jeunesse. D’un sursaut instinctif, Larika s’élance sur le sentier qui remonte dans leur direction. Ses pieds bondissent sur le sol avec souplesse, mais n’échappent pas aux orties géantes qui débordent du fossé et la giflent au passage. La colère fait naitre en elle une force et une détermination latentes.
Elle se souvient. Kananwa. En avril dernier, six rangers rentraient d’une mission avec leur chauffeur. Victimes d’une embuscade, ils sont tous morts sauf un.
Kananwa, son grand frère, son meilleur ami. Il lui manque tant. Lorsque c’est arrivé, il était en contact avec elle, par talkie-walkie. C’est une habitude qu’ils avaient pris depuis son premier jour, à sa demande surtout, pour le rassurer, d’échanger chaque jour en milieu de journée quelques nouvelles pour s’informer de la situation à leur position respective. Ses paroles sortaient par bribes au milieu d’un bourdonnement irritant. Perdu dans la zone centrale du parc, le signal était trop faible. Des mots hachés, Larika… t’aime… attention… filtraient avec difficulté. Puis cela avait coupé, malgré plusieurs relances. Le soir, de retour dans les locaux du siège du parc, la nouvelle avait été terrible.
Après son rétablissement, le rescapé leur avait raconté l’embuscade. Des braconniers, ou peut-être l’un de ces groupes rebelles armés, il n’était pas certain. Ainsi, Kananwa lui avait fait ses adieux, elle avait été sa dernière pensée. Larika étouffe sa peine par la douleur physique et accélère, s’enfonçant plus profondément dans la jungle (...)

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